Le danseur principal fait son grand retour sur les planches où il figure à l’affiche de « L’Histoire de Manon » au Palais Garnier. Subissant une opération suite à une fracture du tibia à 21 ans, le corps de Mathias Heymann a « abandonné » en 2021. Afin de se réapproprier son corps, il a été nécessaire de retrouver son état d’esprit originel.
Étoile de l’Opéra de Paris, Mathias Heymann s’était transformé en fantôme de lui-même, ayant poussé son corps « trop vite, trop fort » durant ces deux dernières années. Pour se rétablir, il a dû revenir aux fondamentaux du ballet. Le danseur de 35 ans, qui s’apprête à interpréter ce vendredi 23 juin le ballet L’Histoire de Manon (inspiré du roman Manon Lescaut) au Palais Garnier, a parcouru un long chemin.
Nommé étoile très jeune, à 21 ans, Mathias Heymann avait subi une intervention chirurgicale il y a une dizaine d’années pour une fracture du tibia. À l’époque, « on me disait lors des rendez-vous médicaux que je pouvais potentiellement ne plus danser », se souvient l’artiste lors d’un entretien à l’AFP. Engagé dans le Ballet de l’Opéra en 2004 et nommé étoile en 2009, il doit son succès à une opération, après laquelle il conserve une tige dans le tibia pour soutenir la solidité de sa jambe.
« Trop rapidement, trop puissamment »
Le Covid a été bien vécu par le danseur qui est resté chez sa famille à Marseille. Cependant, de retour sur scène pour un gala au Japon, il s’est donné à fond sans trop prendre conscience des risques liés à une longue période d’inactivité. « Je ne me suis pas ménagé (…) j’ai poussé mon corps trop rapidement, trop puissamment », admet-il. À l’ouverture de la saison en septembre 2021, « le corps et l’esprit ont lâché… ça a été assez violent », se rappelle le danseur, qui revit le traumatisme de sa précédente blessure.
Ces dernières années, la parole s’est libérée autour des blessures des danseurs qui sont mieux accompagnés par des pôles santé, mais le sujet reste relativement tabou. Bien que soutenu par son entourage, Mathias Heymann sombre « dans une forme de déni et de colère ». « Il a fallu passer par une forme d’acceptation et ça a été très long chez moi car je ne comprenais pas trop pourquoi cela m’arrivait », confie-t-il.
Cet aveu est d’autant plus douloureux que Heymann est l’une des étoiles les plus brillantes de sa génération et était au sommet de sa carrière. « Il a fallu un certain temps pour que l’ancien moi se libère…et du repos pour laisser le corps tranquille », ajoute-il. Beaucoup d’angoisse également, car avec l’âge, « on se pose des questions sur l’avenir, on voit arriver de nouvelles étoiles » à l’Opéra, où la retraite est fixée à 42 ans. Un doute persiste : sera-t-il à la hauteur ?
Retour aux origines
Il y a un an, il entreprend le long processus de retour vers la scène. Ni opération ni rééducation : sa coach de longue date, l’ancienne danseuse étoile Florence Clerc, reprend avec lui les bases de la danse. « On chausse les chaussons, on accepte l’état de son corps, c’est extrêmement difficile », confie-t-il. « Elle me disait : essaie de retrouver l’état d’esprit que tu avais lorsque tu as commencé la danse, l’excitation, l’insouciance, la curiosité, se remémore-t-il. En mai, c’est le grand retour : il remonte sur la scène de l’Opéra et danse le Boléro, chorégraphié par Maurice Béjart, dans lequel le danseur principal exécute des pas sur une grande table.
Il bénéficie du « soutien inconditionnel » du directeur de la danse, José Martinez, qui lui a dit : « prends le temps qu’il fallait ». Le public lui réserve un triomphe mais « le jour de mon premier spectacle, j’ai cru que je ne monterai jamais sur la table », se rappelle-t-il. « J’ai eu un moment de tétanie et le regard de ma coach a suffi pour me sortir de cet état; elle m’a pris comme elle le ferait avec un enfant et m’a dit : « Je fais la barre avec toi s’il le faut », se souvient-il. Malgré une prise de rôle dans un ballet en trois actes et la chorégraphie complexe de Kenneth MacMillan, il est plus serein. Perfectionniste et discret – il n’est pas sur les réseaux sociaux -, il a été touché par « la vague d’amour » du public. « C’est un excellent rappel des raisons pour lesquelles on fait ce métier », dit-il en souriant.