Festivals français en péril : la surenchère de cachets des stars menace leur existence

Les festivals étant déjà affaiblis par l’inflation, ils sont contraints depuis quelque temps de composer avec les cachets exorbitants exigés par les artistes. Une vedette sur scène peut souvent coûter au-delà d’un million d’euros.

Les festivals d’été sont le rendez-vous incontournable des amateurs de musique et de spectacles en direct. Toutefois, depuis quelques mois, ils font face à un défi de taille : des artistes toujours plus exigeants qui ont entamé une surenchère sur leurs cachets. Parmi eux, on peut mentionner Billie Eilish, par exemple.

La jeune chanteuse californienne privilégie les concerts grandioses. Cet été, elle n’a prévu qu’une seule date en France : à Rock en Seine, le 23 août. Aucun représentant de l’organisation du festival ou du tourneur ne donnera de chiffres, mais elle devrait toucher plus d’un million et demi d’euros pour une soirée.

Pas de vedette à moins de 700 000 euros

Cette somme est devenue banale pour les grandes célébrités américaines, alors que Bruce Springsteen, il y a neuf ans, était le premier à toucher un million d’euros aux Vieilles Charrues. Alice Boinet est directrice artistique du festival Art Rock à Saint-Brieuc. Selon elle, n’espérez pas attirer une vedette internationale pour moins de 700 000 euros : « En 2023, il est très difficile de proposer un festival associatif et indépendant. Le public continue de nous soutenir, mais il est pratiquement impossible d’accueillir de grandes têtes d’affiche, notamment américaines. »

Les cachets astronomiques exigés par les artistes ne sont pas les seules dépenses qui alourdissent considérablement les budgets des festivals. Boris Vedel, directeur du Printemps de Bourges, explique : « On parle souvent du cachet des artistes, mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Les transports, l’énergie, le matériel, tout augmente… Si les prix augmentent à la boulangerie, il n’y a pas de raison qu’une scène ou un système de son n’augmente pas ».

Le prix des billets en hausse

L’inflation, qui dépasse 30 % dans certains domaines, concerne tant les festivals que les artistes, avec des coûts incompressibles comme les transports, l’essence ou l’hébergement. Face à cela, des événements comme le Hellfest ou le Lollapalooza ont décidé d’augmenter le prix de leurs billets. Cependant, selon Aurélie Hannedouche, directrice du Syndicat des musiques actuelles (SMA), il ne faut pas généraliser cette mesure : « Certains festivals nous disent que 50 % du budget est désormais consacré à l’artistique. Nous avons augmenté nos tarifs, comme on peut le voir dans une étude que nous avons publiée en avril. Mais il s’agit d’une hausse de l’ordre de 1,10 €, alors que l’inflation est bien plus importante. »

Aurélie Hannedouche illustre l’enjeu : « Augmenter encore ce budget est un choix, mais c’est un choix dangereux. Nous ne voulons pas d’une culture du luxe, nous voulons que tout le monde puisse assister à des concerts. »

Les concerts représentent une source de revenus conséquente pour les artistes, alors que la vente de disques ne rapporte plus autant. La conséquence est que les festivals français ont de plus en plus de mal à suivre la cadence. Un grand festival national a proposé un chèque d’un million et demi d’euros pour attirer cet été les Foo Fighters. Finalement, un concurrent d’Europe de l’Est a doublé la somme et a décroché le gros lot.

À Paris, Live Nation, une multinationale spécialisée dans le spectacle vivant qui produit notamment le festival Lollapalooza, a réussi à s’offrir Kendrick Lamar. Toutefois, selon son directeur Angelo Gopee, l’entreprise a dû s’adapter : « Nous essayons d’acheter au meilleur prix et de faire les offres les plus intéressantes. Nous ne voulons pas céder à la surenchère des festivals européens. Nous n’y arriverons pas, car ils ont des sponsors que nous n’avons pas en France, comme l’alcool et les cigarettes. Il y a des artistes que nous n’aurons jamais ou plus jamais en Hexagone. Alors, nous essayons de proposer une affiche pertinente pour notre public avec un bon rapport qualité-prix. »

Les artistes français ne sont pas en reste

En revanche, pour les Eurockéennes de Belfort, un festival associatif, son directeur Jean-Paul Roland admet que cela devient très difficile : « On pensait avoir atteint les limites du raisonnable, mais désormais, on est vraiment dans le délire. Ce n’est pas plus mal, car il faut rester dans une certaine éthique. Nous nous fixons donc une limite. »

Si des têtes d’affiche francophones telles qu’Angèle, Orelsan ou Stromae demandent aisément plusieurs centaines de milliers d’euros par festival, les artistes moins connus ont du mal à joindre les deux bouts et tournent parfois à perte. La notoriété fait la loi sur ce marché spéculatif, avec des tarifs parfois doublés en moins d’un an.

Des festivals en péril ?

Dans un tel contexte, l’avenir est forcément incertain. Certains festivals ne parviennent même plus à l’équilibre en vendant tous leurs billets. Selon Aurélie Hannedouche du SMA, les artistes ont un rôle à jouer : « Nous comprenons qu’ils ont des carrières à gérer. Le temps médiatique se réduit, il est très court. Ils ont moins travaillé pendant la crise du Covid, l’industrie du disque rapporte moins, donc ils saisissent toutes les opportunités dans le spectacle vivant. Mais ils doivent se rendre compte que s’il y a des festivals qui disparaissent, ils auront moins d’endroits pour se produire. C’est une vision à court terme et ils doivent aussi prendre leurs responsabilités. »

Demander moins d’argent alors que les intermédiaires tels que les agents sont de plus en plus nombreux n’est pas chose facile. Beaucoup de festivals se recentrent sur une programmation française et émergente, avec plus ou moins de succès car les rêves les plus fous semblent inatteignables.