L’investigation devra entre autres déterminer si l’individu suspecté a planifié son action à l’avance et s’il a opéré sous les auspices d’une idéologie spécifique. La dimension cruciale de son état mental, qui se situe dans un contexte compatible avec la détention provisoire, demeure un élément clé.
Pourquoi l’agresseur a-t-il attaqué des passants dans un parc à Annecy en Haute-Savoie, blessant six personnes, dont quatre enfants en bas âge ? La garde à vue du suspect, Abdalmasih H., a été prolongée, vendredi 9 juin. L’enquête se poursuit sous la direction du parquet d’Annecy. À ce stade, le parquet national antiterroriste ne s’est pas saisi de cette attaque qui n’a « aucun mobile terroriste apparent », selon les mots de la procureure de la ville.
La qualification terroriste est souvent un sujet sensible après des actes qui suscitent une vive émotion, face à des profils complexes comme celui de ce Syrien chrétien, demandeur d’asile débouté en France dont des témoins racontent l’errance à Annecy les semaines précédentes, et qui a crié « au nom de Jésus-Christ » lors de l’attaque. Olivier Cahn, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Cergy (Val-d’Oise) et chercheur dans un laboratoire du CNRS, déclare à franceinfo qu’il n’y a pas de ligne claire entre ce qui relève ou non du terrorisme.
La volonté de semer la terreur est un critère central
La loi, selon l’article 421-1 du Code pénal, définit des critères de droit. Une série d’actes, dont les « atteintes volontaires à la vie », peuvent être considérées comme terroristes si elles sont « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».
La première question à se poser est liée au terme « entreprise », ce qui signifie qu’il doit y avoir préméditation, explique Olivier Cahn. L’enquête devra déterminer s’il y a eu un intervalle de temps entre la décision et le passage à l’acte de l’agresseur, et si ce temps lui a servi à préparer son acte, par exemple en achetant une arme.
Après un tel drame, le trouble à l’ordre public est évidemment constitué. Mais pour pouvoir être qualifié de « terroriste » selon le Code pénal, un acte doit avoir « pour but » de créer la terreur. La justice est attentive à « l’idéologie au nom de laquelle l’acte semble avoir été perpétré » et au « contexte social », explique Olivier Cahn. Cela est d’autant plus vrai si la doctrine du suspect « prône le terrorisme comme un des moyens ».
L’état psychiatrique du suspect sera déterminant
Le fait que le suspect de l’attaque d’Annecy mentionne Jésus-Christ lors de son acte n’est pas nécessairement du même ressort, car « il n’y a pas de projet chrétien de recours à la terreur pour faire avancer un projet politique » dans le contexte français, observe Olivier Cahn. Par contre, « l’invocation de Jésus-Christ peut plutôt faire penser à une psychose », souligne le juriste.
Si le suspect n’a pas de libre arbitre au moment de son acte, tous les autres éléments permettant de le qualifier de terroriste n’ont plus d’importance, et il ne peut pas être jugé. Vendredi, une première expertise psychiatrique a conclu que l’état du suspect d’Annecy était compatible avec la garde à vue mais n’a pas tranché la question de la responsabilité pénale.
Pour Olivier Cahn, un dernier critère peut peser dans la décision de saisir ou non le parquet national antiterroriste : « la gestion de ses ressources ». En effet, ce parquet spécialisé créé en 2019 a « beaucoup de travail », et chaque dossier implique de désigner un juge d’instruction et de mener une enquête. S’il se consacre à des dossiers qui ont une forte chance de ne pas aller au bout, il s’expose à une perte de moyens.
Les attentes d’une partie de l’opinion publique peuvent entrer en contradiction avec ces considérations, comme l’ont montré les réactions après la décision de ne pas retenir la qualification de terrorisme pour l’attaque d’un centre culturel kurde à Paris en décembre. Si le parquet national antiterroriste confirme sa position et ne retient pas la qualification terroriste contre le suspect de l’attaque d’Annecy, « il faudra qu’il explique bien pourquoi », conclut Olivier Cahn.