« Déconnecter: Couper téléphone, partir à pied, ignorer mails », explique sociologue Jean Viard

Les citoyens français expriment un besoin de vacances supplémentaires. Qu’est-ce qui nous empêche de décrocher de manière adéquate ? Nos moments de loisirs sont également envahis par une domination du monde digital, dont on doit apprendre à se libérer.

Selon une enquête réalisée par Expedia, plus de 70 % des Français estiment ne pas avoir suffisamment de vacances dans l’année, avec une moyenne de quatre semaines environ. Ce sentiment n’a jamais été aussi fort depuis dix ans. Le sociologue Jean Viard analyse cette perception.

Franceinfo : Qu’est-ce qui a évolué dans notre rapport aux vacances ou au travail, qui fait que nous avons maintenant cette impression de ne pas être suffisamment reposés ?

Jean Viard : L’aspect complexe de notre société actuelle réside dans le fait que, du fait de l’ère numérique, nous sommes de plus en plus stressés au travail. Les cas de burn-out sont de plus en plus fréquents, car le rapport de l’homme au travail s’intensifie. Avec le numérique, nous ne nous arrêtons jamais, même pendant notre temps libre. Quelle est la frontière entre le temps libre et le télétravail ? Ce n’est pas évident. À quel moment refusons-nous de répondre à un appel ? Les limites sont devenues floues. Il est donc essentiel d’apprendre à se déconnecter : savoir éteindre son téléphone, partir à pied, ne pas consulter ses emails.

Aujourd’hui, notre société est davantage axée sur le burn-out que sur la fatigue physique. Il y a certes encore des personnes qui manipulent des charges lourdes, mais elles sont de moins en moins nombreuses. En revanche, nous vivons dans une société marquée par un stress constant, où même pendant les vacances, nous continuons à regarder des séries, à voyager et à nous déplacer, ce qui n’est pas toujours reposant.

Est-ce que cela a vraiment changé ?

Oui, je pense que c’est le cas. Nous vivons aujourd’hui dans des sociétés marquées par l’hyperactivité, tant dans le temps de travail que dans le temps de repos. En quelque sorte, nous luttons contre l’ennui. Se reposer, c’est en quelque sorte s’ennuyer. C’est être allongé dans un transat avec les yeux fermés et laisser vagabonder ses pensées, un moment souvent propice à la réflexion la plus intense. Nous avons perdu cette capacité à nous reposer sous la pression du numérique. Il est donc crucial de retrouver l’art du repos. Des activités telles que le yoga, la marche à pied, ou les pratiques de déconnexion (encore très minoritaires) se développent progressivement. Je pense qu’il y a une véritable réflexion à mener sur les vacances. Nous avons besoin d’une véritable déconnexion, pas nécessairement pendant quinze jours, mais simplement pendant trois jours sans téléphone, sans numérique et sans allumer la télévision, même chez soi ! Nous sommes devenus une société où le temps libre est entièrement occupé. À la fin du week-end, on a parfois l’impression d’être plus fatigué qu’au début. Il faut apprendre à ne rien faire.

Une société où, paradoxalement, on a de plus en plus envie d’avoir du temps libre ?

Oui, c’est la raison pour laquelle les gens ne demandent pas de jours de vacances supplémentaires, mais cherchent constamment à ressentir un sentiment de repos. Les Français ne partent en moyenne que quinze jours par an en vacances, et seulement 60 % le font. Il ne faut donc pas oublier les 40 % qui ne partent pas et les pratiques des élites sociales, notamment dans les grandes villes, où les gens partent cinq ou six fois par an, souvent presque une semaine, et savent bien profiter des jours fériés comme le 8 mai, l’Ascension, etc. Seul un tiers de la société fonctionne de cette manière. Pour les autres, les vacances se passent principalement à la maison, devant la télévision, et il ne faut pas l’oublier.