Le groupe d’organisations non gouvernementales Banking on Climate Chaos présente, ce jeudi, son nouvel étude concernant le soutien financier apporté par les établissements bancaires aux sociétés œuvrant dans les domaines du pétrole, du charbon et du gaz.
En 2022, les grandes banques mondiales ont continué d’investir des centaines de milliards de dollars dans les entreprises productrices d’énergies fossiles, principale cause du réchauffement climatique. C’est ce que dénoncent, le 13 avril, les ONG de la coalition Banking on Climate Chaos (« parier sur le chaos climatique »), qui rassemble des associations luttant contre le changement climatique, dans un nouveau rapport.
Selon leurs calculs, basés sur des données financières provenant de sources comme Bloomberg, les 60 principales banques mondiales ont versé un total de 673 milliards de dollars (616 milliards d’euros) à des sociétés comme Saudi Aramco, ExxonMobil ou TotalEnergies, trois compagnies pétrolières majeures. Une part significative de ces financements, soit 150 milliards de dollars (136 milliards d’euros), est allée à des entreprises qui continuent de lancer de nouveaux projets d’exploitation de charbon, de pétrole ou de gaz.
« Notre objectif est d’alerter sur l’écart entre les promesses et les pratiques. Il n’y a rien de plus grave que de penser que la situation est entre de bonnes mains et que la finance va nous sauver », explique à France Info Lucie Pinson, directrice de l’ONG Reclaim Finance, membre de la coalition. En 2021, les grandes banques s’étaient engagées, par le biais de la « Net Zero Banking Alliance », à atteindre la neutralité carbone de leurs portefeuilles en 2050.
Un chiffre en baisse
Ce chiffre de 673 milliards de dollars est toutefois en baisse par rapport à l’année précédente (801 milliards de dollars). « Il est trop tôt pour dire si c’est encourageant. Nous avons vu des effets yo-yo les années précédentes », estime Lucie Pinson.
Selon elle, cette baisse pourrait être due aux « superprofits » réalisés en 2022 par les entreprises du secteur, qui ont eu moins besoin de lever des fonds. Elle craint que le niveau de financement des énergies fossiles augmente à nouveau cette année. « Nous avons déjà vu de grosses transactions depuis janvier. Il est possible que 2023 montre une augmentation pour compenser ce qui n’a pas été versé en 2022 », ajoute la militante.
Une banque française en 11e position
En tête de ce classement 2022, la Royal Bank of Canada, avec 42,1 milliards de dollars, juste devant JP Morgan Chase (39,2 milliards). La banque américaine reste cependant celle qui a le plus financé les énergies fossiles depuis 2016 et l’accord de Paris. La première banque française, BNP Paribas, se classe en 11e position de ce classement 2016-2022, suivie de près par la Société générale (21e), juste devant Crédit agricole (23e). À l’inverse, Crédit mutuel (59e) et la Banque postale (60e) sont les deux établissements qui ont le moins financé les énergies fossiles depuis 2016, respectivement à hauteur de 0,5 et 0,4 milliard de dollars.
Contactée par France Info, BNP Paribas conteste les « nombreuses erreurs et biais méthodologiques » du rapport et remet en question la hausse affichée entre 2021 et 2022 (de 16,5 milliards à 20 milliards de dollars), estimant que « 5,6 milliards de dollars lui sont attribués à tort ». La banque affirme avoir réduit l’exposition de ses crédits à l’exploration-production de pétrole et de gaz entre 2020 et 2022. « Cette diminution des crédits de BNP Paribas aux énergies fossiles est intervenue avant même l’entrée en vigueur des décisions annoncées [sur ce sujet par l’entreprise] le 24 janvier 2023, qui vont marquer une très forte accélération de la trajectoire de sortie des énergies fossiles », ajoute la banque, assurant avoir « les politiques de réduction des financements des énergies fossiles parmi les plus avancées au monde ».
« Le leadership français est définitivement enterré »
Ces arguments ne convainquent pas Lucie Pinson. « Ce rapport acte que le leadership français est définitivement enterré. Crédit mutuel a édulcoré son engagement à ne plus soutenir l’expansion du pétrole et du gaz [comme l’explique Reclaim Finance], tandis que BNP Paribas et Crédit agricole font partie des quelques banques qui ont augmenté leur financement aux énergies fossiles l’année dernière », souligne la militante, regrettant « le silence assourdissant du gouvernement français » sur cette question.
Contacté, Crédit agricole défend une « trajectoire (…) exigeante et responsable » : « arrêter brutalement le financement des énergies fossiles ne permettrait que de ‘verdir’ rapidement notre bilan, mais ne verdirait pas toute l’économie », explique la banque. De son côté, Crédit mutuel s’engage à « arrêter de financer, à compter de juillet 2024, les entreprises du secteur de l’énergie qui continuent à développer de nouveaux projets d’exploration et de production de pétrole et de gaz ».
Depuis 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), une agence créée après le choc pétrolier de 1973 pour sécuriser l’approvisionnement en énergie, répète régulièrement qu’il n’est pas nécessaire de lancer de nouveaux projets d’exploitation de gaz, de charbon ou de pétrole pour réaliser la transition énergétique. Dans son dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a constaté que « les financements publics et privés pour les énergies fossiles sont toujours plus importants que ceux pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique ».