Pendant que la crise du COVID-19 atteignait des proportions imprévues, les autorités ont instauré un mécanisme extraordinaire d’aide financière aux sociétés : le crédit adossé par le gouvernement (CAG). Trois ans après, certains établissements commerciaux de la Vienne continuent de faire face à des obstacles pour le remboursement de cette aide.
La pandémie du coronavirus a pris une ampleur inattendue, ce qui a conduit le gouvernement à mettre en place un dispositif exceptionnel de soutien financier aux entreprises : le prêt garanti par l’État (PGE). Trois ans plus tard, certains commerces de la Vienne sont toujours en difficulté pour le rembourser.
Malgré l’annonce de la fin officielle du COVID-19 par l’OMS en mai dernier, la crise économique provoquée par la pandémie persiste. En réaction à l’émergence du virus en France en 2020, le gouvernement a mis en place un PGE de 300 milliards d’euros pour aider les entreprises à maintenir leur activité. Les entreprises pouvaient souscrire à ce prêt auprès de leur banque, pour un montant pouvant aller jusqu’à trois mois de leur chiffre d’affaires en fonction du besoin en trésorerie.
D’après les chiffres officiels, près de 3 200 entreprises de la Vienne ont eu recours au PGE à partir d’avril 2020. Bien que ce prêt ait été essentiel pour les entreprises locales pendant la crise, il n’a pas pu compenser tous les effets de la mise en veille des activités. Presque un an après l’échéance des derniers différés de remboursement de ce prêt, le 30 juin 2022, certains commerces de proximité sont toujours en difficulté, en raison de revenus insuffisants.
Des commerçants en difficulté
C’est le cas de Maryse et Mathilde, propriétaires de l’épicerie-restaurant L’effet Bocal et la Soupière. Ce lieu écoresponsable et local a ouvert ses portes en mai 2017 sous la forme d’une société coopérative de production (Scop). « L’épicerie fonctionnait très bien avant le Covid, à tel point qu’on a souhaité s’agrandir pour proposer un service de restauration et de salon de thé », explique Maryse. La partie restauration a été mise en place en décembre 2020, alors que les premiers effets de la crise sanitaire se faisaient ressentir.
Les deux femmes ont dû demander un PGE en 2021 : « on pensait avoir suffisamment de trésorerie pour être viables, mais on s’est rapidement retrouvées en difficulté », regrette Mathilde. Elles n’ont pas pu bénéficier des aides accordées aux restaurateurs, faute de pouvoir justifier d’une activité au début de la crise.
Aujourd’hui, il est difficile pour cette entreprise zéro déchet de rembourser son prêt. Ce dernier ne nécessitait aucun remboursement la première année de sa mise en place. Ce n’est qu’à l’issue de celle-ci que l’entreprise pouvait décider de rembourser immédiatement son prêt ou de l’amortir sur cinq ans maximum.
« On craint de devoir déposer le bilan. On laisse passer l’été pour l’instant », confie Maryse.
Près de trois ans plus tard, les deux partenaires espèrent pouvoir maintenir leur activité, mais sont hantées par les décisions douloureuses du passé. « On n’arrivait même plus à payer tous nos employés, on a dû procéder à des licenciements », déplore Mathilde.
Si Maryse et Mathilde tentent de monter un dossier auprès du délégué départemental de sortie de crise pour étaler le remboursement de ce prêt sur 10 ans, leur crainte de surendettement demeure : « On craint de devoir déposer le bilan. On laisse passer l’été pour l’instant », précise Maryse.
La restauration est le secteur le plus touché par ces difficultés de remboursement. Fragilisées par l’inflation, les entreprises doivent faire face à une timide reprise de leur activité, conjuguée à la guerre en Ukraine, qui a entraîné une hausse des coûts des matières premières. L’entreprise de meubles vrac pour la distribution liquide, 3J Développement, vit une situation similaire : « On avait la conviction au moment où l’on a demandé ce prêt que ce contexte économique était éphémère. On s’est trompés et on doit maintenant adapter l’entreprise aux difficultés du marché », explique le directeur Jean-Maurice Gaborit.
Un phénomène minoritaire ?
Pourtant, les pouvoirs publics ont jusqu’à présent été rassurants sur ce sujet. Les chiffres de l’INSEE montrent qu’en 2023, moins de 5 % des entreprises rencontrent des difficultés à rembourser leur PGE.
Un chiffre à analyser plus en détail, selon Jean-Baptiste Dubreuil, président de l’association venant en aide aux commerçants « Poitiers le Centre » : « Chaque entreprise a un modèle économique qui lui est propre. Avec ces crises exceptionnelles, on ne peut pas prévoir si la trésorerie de tous les commerces va se reconstituer avec la reprise de leur activité ».
Outre la pandémie, l’année 2020 a été marquée par la création massive d’entreprises : près de 850 000 entreprises sont créées en France, soit presque 35 000 de plus qu’en 2019, selon l’INSEE. Le COVID-19 a bouleversé la conjoncture économique en parallèle d’une « fièvre entrepreneuriale ». Les entreprises qui se retrouvent aujourd’hui en difficulté sont principalement celles qui avaient déjà un chiffre d’affaires faible avant la crise ou qui se développent à partir d’un modèle économique alternatif. « Les toutes petites entreprises ne sont pas des mauvaises élèves. Elles sont plus impactées par les problèmes de trésoreries et deviennent, de fait, les cibles prioritaires en matière de remboursement », conclut Jean-Baptiste Dubreuil.
Que dit la Banque de France ?
La difficulté à rembourser le prêt serait due à un contexte moins porteur qu’espéré. « Nous sommes à 0,7 point de PIB, alors qu’habituellement, nous sommes entre 1,5 et 2 % de PIB. Donc, ces entreprises, qui sont récentes ou qui n’ont pas une excellente santé, se retrouvent mécaniquement en difficulté pour rembourser leur crédit et leurs charges », explique Patrick Saulnier, directeur de la Banque de France de la Vienne.
La Banque de France annonce toutefois, dans ses dernières prévisions, que « la croissance économique apparaît, en ce début d’année, modérée, mais résiliente. » L’inflation aurait atteint son pic au deuxième semestre 2023 et pourrait revenir au seuil de 2 % d’ici à 2025.
Pour les petites entreprises créées récemment, ces prévisions pourraient laisser espérer un nouvel élan dans les mois à venir. Selon Patrick Saulnier, ces petites entreprises, souvent récentes, doivent passer le cap des trois ans d’existence. « Nous prévoyons que le PIB va repartir et que l’économie va redémarrer. Donc, si ces entreprises passent ce cap difficile aujourd’hui, elles pourraient continuer à fonctionner et ce, bien après 2023 », explique-t-il.