L’auteur espagnol propose une création remarquable concernant la disparition d’une sculpture renommée réalisée par l’artiste Richard Serra. « Chef-d’œuvre » constitue également une méditation sur la position de l’art contemporain. Captivant.
Tout d’abord, les événements. Lors de son inauguration en 1986, le centre d’art Reina Sofia de Madrid demande à l’illustre artiste Richard Serra de réaliser une œuvre monumentale qui lui est propre. Nommée Equal-Parallel/Guernica-Bengasi, l’imposante sculpture d’acier de 38 tonnes est exposée dans l’une des salles du nouveau musée pendant quatre ans avant d’être démontée puis confiée à un prestataire spécialisé dans l’entreposage et le transport d’œuvres d’art. Quelques années plus tard, à la fin de 2005, lorsque l’attention se porte à nouveau sur le chef-d’œuvre, celui-ci a tout simplement disparu. Comment une sculpture aussi imposante a-t-elle pu se volatiliser?
Chef d’orchestre
Ensuite, la littérature. C’est par le biais de la fiction que l’écrivain et journaliste espagnol Juan Tallon aborde un mystère qui n’a toujours pas été résolu. Dans Chef-d’œuvre, l’auteur conduit une enquête polyphonique magistrale à travers 70 personnages, sans jamais nous égarer, à la recherche de l’œuvre perdue de Richard Serra. Obsédé par ce mystère, il orchestre les témoignages inventés de personnages réels ou fictifs : un gardien de salle, une inspectrice, une juge, un chauffeur de taxi, une conservatrice de musée, l’artiste lui-même, son ami le compositeur Philip Glass, l’architecte Jean Nouvel… 70 protagonistes qui éclairent chacun à leur manière sur le mystère de la disparition, mais aussi sur la place de l’artiste et de la création dans la société, sur la puissance d’une œuvre et sur l’impact politique de l’art.
Un roman admirable, mêlant réalité et fiction, qui met en valeur la puissance de l’art contemporain tout en analysant le passionnant mystère de l’affaire. Grâce à une écriture élégante, nerveuse, parfois ironique, Juan Tallon parvient à maintenir une cohérence dans la narration en multipliant les angles et les points de vue. Le lecteur n’est pas plongé dans une cacophonie bruyante, au contraire. Avec Chef-d’œuvre, on découvre, on s’émerveille, on s’amuse et on réfléchit. Chef-d’œuvre, un grand roman polyphonique inventif. Et Juan Tallon, un chef d’orchestre redoutable et créatif.
« Chef-d’œuvre », Juan Tallon, traduction de l’espagnol par Anne Plantagenet, Editions Le bruit du monde, 23 euros